TOYOTA, L’USINE DU DÉSESPOIR, par S. KAMATA, aux éditions DEMOPOLIS **
Pour tous les amoureux du lean, dont je fais partie, il faut avoir le courage de réfléchir aux côtés néfastes que cette pratique pourrait entrainer lorsqu’elle est appliquée tel un dogme. Améliorer la compétitivité et la productivité de nos entreprises doit se faire dans le respect de l’être humain avec l’objectif d’améliorer ses conditions de vie. Sinon à quoi bon se donner autant de mal ?
Ce livre, écrit par un journaliste japonais dans les années 70, vous permettra de comprendre les effets collatéraux de cette pratique telle qu’elle a été appliquée par TOYOTA dans ces années-là. C’est parce que cette entreprise automobile est régulièrement citée comme un modèle en terme de productivité et de lean que j’ai trouvé intéressant de regarder l’envers du décors, celui de l’œil d’un ouvrier d’une chaine de montage.
Satoshi Kamata s’est en effet glissé dans la peau d’un ouvrier temporaire d’une usine d’assemblage de TOYOTA au Japon. Il raconte, le long de ces 246 pages, ses journées passées à l’usine. Son récit est très répétitif, à l’image de son travail, mais grâce à cette lecture j’ai énormément gagné en maturité au sujet du lean, quand bien même ce livre ne traite pas directement de cette thématique. Mais les adeptes du lean n’auront aucunes difficultés à recréer le contexte de travail de cet ouvrier afin d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Et j’en conclus que le lean n’est pas si différent du Taylorisme, si l’on veut bien se mettre à la place de cet ouvrier. Si le Taylorisme s’évertue à récupérer l’énergie synchronisée que l’ouvrier a accumulée en mangeant et en dormant, le lean va encore plus loin en s’obstinant à ne perdre aucune des calories capitalisées par l’ouvrier. Il va même jusqu’à aspirer l’intelligence de l’ouvrier, en l’encourageant de trouver continuellement des idées pour améliorer son environnement de travail, malgré la fatigue. On le motive en lui expliquant sans relâche que cela est important pour lui et pour l’entreprise, en le soumettant à une pression de groupe implacable, en lui promettant qu’il sera écouté comme un dirigeant de l’entreprise. Et bien que ce ne soit pas totalement faux, il ne sera toutefois écouté que pour ses bonnes idées qui permettront à l’entreprise de produire plus et à l’ouvrier de travailler davantage.
Une image me vient à l’esprit: là où Chaplin montrait, dans les Temps Modernes, un ouvrier utilisé comme une force brute exécutant un travail bête et répétitif, le lean ajouterait des sondes sur sa tête pour le vider de son intelligence!
Les détracteurs de lean se réjouiront donc de découvrir un récit inédit démontrant les méfaits de cette pratique dans l’industrie Japonaise des années 70.
Quant aux promoteurs du lean, dont je fais toujours partie, faut-il le rappeler, gardons à l’esprit que la valeur du lean provient de la manière dont nous mettons en œuvre cette pratique dans nos entreprises. Si la dignité de l’homme est placée à la même échelle des valeurs que la productivité de l’entreprise, alors nous pouvons créer une usine compétitive sur le long terme, avec des employés motivés dont l’intelligence collective sera le reflet de la multiplication de leurs idées, et pas uniquement quelques additions personnelles.
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