INFLUENCE ET MANIPULATION, COMPRENDRE ET MAÎTRISER LES MÉCANISMES DE PERSUASION, par R. CIALDINI, aux éditions FIRST ***
Ce livre absorbant est destiné à tous ceux qui souhaitent comprendre les mécanismes de l’influence et de la manipulation humaine. Vous y découvrirez comment influencer « positivement » vos interlocuteurs puis comment détecter et contrer les manipulateurs qui tentent de vous influencer « négativement » contre vos propres intérêts personnels.
Robert CIALDINI, l’auteur de se remarqué et remarquable best-seller, est un psychologue américain, spécialiste de la persuasion, de la négociation et de la complaisance. Dès les premières pages de cet ouvrage, vous pourrez constater par vous-même qu’il connaît parfaitement son sujet. Il possède un regard à la fois global et précis de nos comportements sociaux.
Et même si le style est un peu trop « anglo-saxon » pour mon esprit « franco-suisse », je suis malgré tout resté captivé durant toute ma lecture. Je me souviens encore du passage de la page 22 qui m’a définitivement convaincu de lire d’une traite les 359 pages suivantes. A cet instant, l’auteur explique pourquoi, dans notre société dite « complexe », nous devons absolument définir des stéréotypes et des règles empiriques pour pouvoir préserver notre temps et notre énergie mentale face à la multitude d’information que nous recevons chaque jour de notre existence.
Pour illustrer ce besoin d’économie d’énergie de notre cerveau, Robert CIALDINI commence par nous décrire le double intérêt du « bon de réduction ». Etonnant, certes, mais très révélateur. La première fonction du bon de réduction, comme nous le savons tous, consiste à nous procurer une économie financière. Evidemment. Mais la seconde fonction est bien plus subtile et intéressante. Il s’agit en fait de nous éviter de gaspiller notre énergie mentale pour déterminer où se rendre pour acheter nos biens au meilleur prix. Notre cerveau est en fait à la recherche continue de tels raccourcis pour éviter de se poser d’interminables questions sur chaque information qu’il reçoit, ce qui engendrerait fatigue et surmenage. Faisons une analogie avec un ordinateur qui recevrait plus de données qu’il serait capable d’en traiter. Le processeur se mettrait alors rapidement en surchauffe et le ventilateur peinerait à évacuer tout l’air chaud ainsi généré. Inutile de préciser les conséquences d’un tel mode de fonctionnement prolongé, que ce soit pour l’ordinateur ou pour l’être humain !
Ce mode de recherche d’économie d’énergie complété par d’autres réflexes instinctifs sont fondamentaux pour notre équilibre et pour notre survie, mais ils peuvent parfois aussi nous jouer des tours en nous occultant la réalité. La connaissance de ces faiblesses procure des « armes d’influence » redoutables à ceux qui savent les manipuler, en contournant nos mécanismes d’alertes, et c’est pour cela que ce livre est très instructif.
La première de ces armes d’influence est le « principe de contraste ». C’est l’une des techniques les plus efficaces et qui se trouve même être pratiquement indétectable par notre cerveau. Il s’agit en fait de jouer avec le contraste pour renforcer ou diminuer l’impact d’une information. Imaginez que vous mettiez chacune de vos mains dans un sceau d’eau froide et chaude. Lorsque que vous ressortez vos mains de ces deux sceaux pour les mettre dans un seul sceau d’eau tiède, votre perception du chaud et du froid sera inversée pour chacune de vos deux mains. La main chaude aura l’impression que l’eau du sceau tiède est froide, et inversement pour l’autre main. Cela semble logique, n’est-ce pas ? Et pourtant, c’est comme cela que nous nous laissons facilement influencer dans les magasins en nous laissant convaincre par les bonnes affaires que nous avons faites, après avoir comparé nos achats par rapport à ce que le vendeur nous a initialement présenté. Un bon vendeur met en effet la barre plus haute que ce que vous pouvez vous offrir, dans le but de vous faire accepter plus facilement ce qui est adapté à vos moyens.
Une autre arme d’influence se trouve être la règle de « réciprocité » qui dit qu’il faut s’efforcer de payer en retour les avantages reçus par autrui. Même si l’on pense que notre société est de moins en moins redevable face aux services rendus, cette règle reste tout-à-fait ancrée dans nos mécanismes cérébraux qui n’évoluent pas aussi vite que notre environnement. En fait, l’archéologue Richard LEAKEY voit même dans cette règle l’essence de notre humanité : « Nous sommes humains parce que nos ancêtres ont appris à mettre en commun compétences et nourriture dans le cadre d’un réseau d’obligations mutuelles ». Cette règle permettait en fait à nos ancêtres de se séparer d’une partie de leurs ressources sans les abandonner vraiment, permettant ainsi le partage et la spécialisation du travail.
Repensez maintenant à toutes ces personnes qui vous ont proposé une « grosse » requête avant d’en arriver à une plus petite, davantage acceptable. Et bien ils ont commencé par marquer le contraste entre les deux requêtes, puis ils vous ont fait grâce d’une concession, en vous présentant la deuxième requête moins engageante, mais en fait celle qu’ils cherchaient réellement à obtenir. Deux armes d’influence utilisées conjointement pour augmenter les chances de vous convaincre. Est-ce que cela n’a jamais marché sur vous ?
A ce sujet, les « vendeurs nés », que la sélection naturelle a souvent propulsé en haut de nos organisations, ne savent même pas qu’ils utilisent de telles armes contre nous. Cela fait partie de leur bagage génétique. C’est d’ailleurs ce qui les rend si dangereux, car ils sont dénués de tout aspect émotionnel lorsqu’ils déploient leurs armes contre nos mécanismes de défense cérébraux.
Pour lutter contre ces guerriers de la manipulation, il est conseillé de savoir écouter son estomac. Et oui, nous avons des bouclier cachés dans notre corps qui, s’ils ne sont pas dysfonctionnels, peuvent détecter des comportements inadéquats avant même que notre cortex puisse l’analyser. Votre estomac peut en effet s’agiter lorsque des signaux faibles montrent qu’il y a une situation inhabituelle et potentiellement à risque. Il vaut mieux alors tenter de comprendre les raisons d’une telle réaction et prendre les mesures qui s’imposent. Prenons l’exemple de la réponse de Robert CIALDINI à une jolie jeune fille qui lui proposait de lui vendre une carte de membre qu’il ne souhaitait pas, en utilisant toutes les règles d’influence et de séduction de son répertoire : « Désolé, madame, mais je sais de source sûre, par mon estomac, que je ne veux pas de votre carte de membre. Un esprit aussi brillant que le vôtre comprendra certainement les raisons de mon choix. ». Apprenez à répondre de manière aussi directe et décomplexée à vos interlocuteurs malintentionnés, sans l’ombre d’un scrupule envers celui ou celle qui n’en a guère plus à votre encontre.
Le moyen de contrer de telles tactiques de manipulation consiste donc à les détecter rapidement grâce à votre estomac ou votre cœur, puis de cataloguer votre interlocuteur comme étant un manipulateur malveillant dès que cela est avéré. Le poids des règles va ainsi très vite tomber et il sera bien plus facile pour votre esprit de refuser ces propositions, sans se sentir aucunement coupable ou redevable.
Pensez surtout à regarder comment se comporte votre interlocuteur, sans se référez uniquement à son discours. Car c’est ce qu’il fait qui est important, bien plus que ce qu’il dit. Le corps nous donne bien plus d’information que le langage édulcoré sortant de la bouche de nos interlocuteurs. Mais attention toutefois à ne pas devenir hermétique à tout contact juste pour éviter une hypothétique manipulation. Cela serait bien plus dommageable pour votre vie sociétale que d’accepter l’idée d’être manipulé occasionnellement. Tout est question de risque et de probabilité.
Mentionnons maintenant une autre caractéristique comportementale qui m’a beaucoup intéressée dans cet ouvrage. Il s’agit de la « cohérence ». Vous aurez remarqué que le genre humain est particulièrement rassuré par les personnes cohérentes, qu’il juge comme étant « savantes » et « intelligentes ». A contrario, nous sommes très critiques envers les personnes qui changent souvent d’avis. Nous les qualifions volontier « d’hypocrites » et de « déséquilibrés ». Il faut donc se montrer cohérent aux yeux de nos semblables si nous voulons nous montrer fiable et sincère. Sans compter qu’un tel comportement nous permet de facto une substantielle économie d’énergie mentale lors de nos prises de décisions. Rien de plus facile que de suivre ses convictions plutôt que de remettre indéfiniment l’ouvrage sur la table pour trouver des réponses singulières à chaque problème posé. Mais attention à l’aveuglement que de telles économies d’énergies pourraient engendrer en période de changement radicaux !
Passons maintenant à la puissante arme de la « preuve sociale ». L’auteur a choisi d’illustrer ce phénomène par le rire préenregistré de certaines émissions de télévision et de radio. Par réflexe, lorsqu’un grand nombre de personnes fait quelque chose de similaire, c’est que c’est la meilleure chose à faire. Si cela a souvent été utile à la survie de notre espèce, les manipulateur avertis savent en tirer profit.
Ce réflexe est d’ailleurs à l’origine de phénomènes détestables que nous réprimons tous, du moins je l’espère. Pensez à une personne qui semble s’accroupir avec les symptômes d’une crise cardiaque. Si un individu à proximité tourne la tête devant cette scène, il y a alors de très grandes probabilités pour que toutes les autres personnes qui le suivent en fassent de même, pensant que cette réaction initiale signifie qu’il n’y a pas de réel danger. Par contre, si la première personne lui porte secours, alors les autres viendront l’aider sans aucun doute, convaincues qu’il y a un réel danger et qu’il faut agir. Alors souvenez-vous que, si vous deviez un jour vous retrouver en pareille situation au milieu d’une foule, il vaut mieux pour vous fixer une seule personne et lui ordonnez de vous aider, en insistant sur le danger que vous courrez. Ne faites pas confiance à la foule qui pourrait facilement se laisser convaincre d’un numéro de cirque de la part d’un marginal alcoolisé !
De nombreuses études scientifiques le démontre. Et c’est ce fichu rapport au sentiment d’incertitude qui nous conduit à nous comporter de la sorte. Cette incertitude qui n’est pas assimilable par notre cerveau primitif qui cherche constamment une réponse de type « blanc ou noir », « vrai ou faux ». Mais heureusement pour l’estime de notre espèce humaine, les études démontrent que nous sommes enclins à aider nos semblables lorsque les signes de danger sont parfaitement clairs et évidents. Ouf !
Donc, pour en revenir aux rires préenregistrés, il ne s’agit en fait que d’un moyen « primitif » pour nous convaincre que nos semblables trouvent l’émission drôle, ce qui influence automatiquement notre pensée pour trouver également la séquence comique. Et pas moyen de lutter contre ce réflexe instinctif. Le seul moyen consiste à zapper rapidement ce genre d’émission dont les producteurs vous manipulent ouvertement, sans scrupules et sans même prendre la peine de cacher leurs techniques affligeantes.
Passons maintenant à la règle de la « similarité ». Vous vous êtes très certainement déjà rendu compte que l’être humain aime instinctivement ce qui lui ressemble. Plusieurs études montrent d’ailleurs que nous aidons bien plus volontiers ceux qui s’habillent comme nous ou qui se comportent comme nous, que les autres. Regarder autour de vous et vous constaterez que les personnes que vous appréciez réellement vous ressemblent énormément. C’est pour cela que les bons vendeurs ont appris à jouer de cette arme, en détectant rapidement vos comportements puis en les imitant sciemment, pour vous mettre en confiance et ainsi augmenter leurs chances de conviction.
Il ne serait pas convenable de terminer ce compte rendu sans parler de la règle de la « rareté » qui marche si bien en technique de vente. D’après ce principe, chaque fois que notre liberté de choix se trouve limitée ou menacée, nous y attachons soudainement beaucoup plus d’importance. Certainement un réflexe de survie de notre espèce face au manque de ressource alimentaire. Pour illustrer ce phénomène, l’auteur fait référence à l’effet boomerang produit par l’autorité familiale imposée sur « Roméo et Juliette » dans la fameuse tragédie romantique de Shakespeare. Cet amour extrême n’aurait-il pas été qu’une simple amourette sans le conflit et la pression exercée par leur famille rivale pour leur interdire cet amour ? Et qui de vous ne s’est jamais vanté d’avoir un objet que personne d’autre ne possède ? Pourquoi une telle affirmation crée-t-elle un réflexe d’attention aussi immédiat ? Alors, lorsque vous peiner à vendre un objet encombrant, pensez à mettre en avant sa rareté !
Voilà, il est temps pour moi de vous laisser découvrir toutes ces règles d’influence dans cet ouvrage passionnant. Sachez en faire bon usage pour augmenter votre capacité d’influence « positive », et apprenez à lutter avec persévérance face à tous ces manipulateurs nauséabonds qui cherchent à se nourrir de votre organisme.
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